Le Boycott actif, oui mais comment le rentabiliser pour hâter l’instauration de la République?
Le Boycott actif, oui mais comment le rentabiliser pour hâter l’instauration de la République?
Par Moncef Marzouki
En 1989, nul n’eût l’idée de se présenter contre Ben Ali, tant il était espéré que l’homme serait le président de tous les Tunisiens et que les élections législatives respecteraient la volonté du peuple et donneraient enfin à la Tunisie un parlement pluraliste. On sait ce qui s’est passé.
En 1994, je me suis présenté contre cet homme dont la dérive autoritaire n’était plus à démontrer. On se souvient que deux autres Tunisiens avaient fait la même chose et que comme moi, ils finirent derrière les barreaux. L’acte hautement symbolique n’en était pas moins fort : l’affirmation d’une citoyenneté nouvelle par la réclamation de la fin de la monarchie déguisée et de vraies élections républicaines.
‘’L’élection’’ du dictateur avec l’inénarrable 99% cachait l’impact de cette ‘’ folie’’ de trois citoyens mis au frais à la prison du 9 avril. Ce n’est pas par hasard, mais bien à cause de ces candidatures, que le dictateur, expert en faux et usage de faux, a été obligé d’affiner son jeu en passant de la phase de la candidature unique à celle de la fausse pluralité à partir de 1999.
Nous sommes aujourd’hui dans cette phase, transitoire, de l’histoire politique dans notre pays.
Il faut faire ici un parallèle avec le processus d’acquisition de la liberté d’expression et la liberté d’association.
Beaucoup de Tunisiens ne réalisent pas que nous avons déjà fait la moitié du chemin vers la démocratie. Le combat de la société civile a arraché aux deux rois roturiers qui se sont arrogés l’Etat, bataille après bataille, des espaces de liberté de plus en plus importants. Regardez le nombre de partis, associations et autres comités qui fonctionnent en toute ‘’illégalité’’
Tout le combat consiste à mener le plus vite possible le processus à sa troisième et dernière phase : celle des vraies candidatures plurielles dans de vraies élections.
Voici pourquoi, toute participation aux prochaines ‘’élections présidentielles et législatives‘’ serait du pain béni pour le dictateur, car sans elle, il ne peut donner le change. Elle légitimerait le faux et usage de faux. Elle collaborerait au maintien du statut-quo. Elle retarderait les bonnes échéances.
En fait, rien de plus frustrant que d’aligner de tels arguments tant ils sont évidents. Mais nous avons à faire, soit à des agents stipendiés de la dictature (Ettajdid et compagnie), soit à des opposants honnêtes mais décidés à jouer les sourds par volonté. Rappelez- vous que ce sont les pire. Aussi ne sert-il à rien de leur dire qu’on ne joue pas un match truqué d’avance , qu’on ne fait pas confiance impunément à un faussaire structuré et structurel comme Ben Ali , que leurs arguments fallacieux sur une participation protestataire qui fait avancer les choses n’a fait que faire du sur-place à la Tunisie, que participer c’est s’inscrire dans une véritable insulte à l’intelligence des citoyens, la confiscation persistante de la souveraineté populaire, la manipulation frauduleuse des mécanismes de la démocratie etc.
Mais la principale difficulté ne tient pas à une classe politique qui s’est toujours montrée au-dessous de tout, par refus de la clarté et de la responsabilité. Elle tient à la population, et pas pour la raison qu’on croit.
Appeler les Tunisiens à boycotter la mascarade d’octobre, c’est enfoncer une porte ouverte .Nos compatriotes n’étant pas les imbéciles que croient être les faussaires de Carthage, cela fait belle lurette qu’ils ignorent superbement le cirque que le dictateur organise tous les cinq ans, pour s’auto- légitimer.On sait que le ‘’Réferundum’’ de 2002 par lequel il s’est offert la présidence à vie et l’infaillibilité pontificale, n’a ameuté que 17% du corps électoral, tous mobilisés à la hâte et sous le chantage par les sbires du parti ‘’inique’’... ou ce qu’il en reste.
Mais ce rejet est passif, fait d’évitement, de silence méprisant et goguenard ne permet pas d’avancer. Le dictateur reçoit la gifle mais n’en a cure puisque ce rejet ne va pas jusqu’à son terme qui est de chasser le roi roturier de son trône en carton-pâte.
Le problème aujourd’hui est de savoir comment transformer un boycott passif qui fait traîner la phase transitoire en un boycott actif qui hâte l’avènement de la troisième phase du processus démocratique, dont l’instauration de la République n’est que l’une des réalisations?
Comment bougent les peuples soumis un temps par leurs occupants internes?
Par la conjonction de trois facteurs:
1- L’effet raz –le –bol et le bol des tunisiens est plus qu’à raz.
2- Les circonstances et elles n’ont jamais été aussi favorables. Rappelons que la mascarade d’octobre aura lieu à une phase de l’histoire où toutes les dictatures arabes sont des ruines institutionnelles, morales et politiques. Seuls des protecteurs étrangers aux politiques cyniques et à court vue parient encore sur de telles ruines. Tant pis pour eux, ils en seront pour leur frais!
3- l’existence d’une direction politique crédible capable de fixer des objectifs et donner des mots d’ordre forts et clairs à la population avec un porte-parole dans lequel la population puisse identifier un symbole et concrétiser un espoir.
Tout a été fait, tant par le pouvoir que par une opposition irresponsable, pour empêcher la réalisation de cette condition fondamentale de tout changement. De la part du pouvoir et ses sbires c’est de bonne guerre. Mais de la part des oppositions?
Il faut donc aux hommes et femmes de bonne volonté trouver une solution rapide à ce problème car sacrifier l’intérêt du pays aux jalousies et mesquineries n’est pas digne d’histoires individuelles souvent très honorables, et surtout n’est pas digne du pays au vu de ce qu’il subit.
Rappelons nous que nous affronterons le 24 octobre un régime déconsidéré, effrayé, à qui la société civile à déjà arraché la liberté d’expression, liberté d’association. Nous devons donc aller à la bataille avec la mentalité de ceux qui se battent pour faire aboutir des processus inéluctables et très largement avancés.
La question est comment conduire cette bataille pour qu’elle soit une étape importante dans la liquidation de la ‘’Joumloukia‘’ mise en place par Bourguiba et son tombeur. Comment faire pour que le boycott ne soit pas un coup d’épée dans l’eau?
Comment créer à partir de cette désolation nationale faite de dévalorisation de soi et des autres, un sursaut national? Je vous pose mes questions espérant des réponses qui m’aideraient à choisir la meilleure stratégie. Je vous annoncerai mes choix définitifs la veille de mon embarquement pour Tunis le 28 septembre prochain.
25 Juillet 2004